Sabine Grégoire, Psychologue du Travail Terrain Coach Certifiée typée Action – RCGN, a accepté de répondre à nos questions sur l’état de stress aigu :
- Sabine Grégoire, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un ESA (état de stress aigu), et quelles en sont les manifestations ?
Lors d’un événement traumatique soudain, intense, violent, les personnes peuvent réagir de différentes façons : le stress adapté qui permet de faire face à la situation, l’état de stress aigu ou encore, l’état de dissociation aigue. Ainsi, l’état de stress aigu est un ensemble de symptômes, qui dure minimum 3 jours à maximum 4 semaines après l’exposition à l’événement traumatique. Pour caractériser un ESA, au moins 9 des 14 symptômes listés ci-après doivent être présents, quels que soient les clusters auxquels ils appartiennent (intrusion, humeur négative, dissociation, évitement ou hyperactivation) : Souvenirs récurrents, involontaires, pénibles et envahissants de l’événement /Rêves inquiétants récurrents à propos de l’événement/ Réactions dissociatives dans lesquelles les patients ont l’impression de revivre le traumatisme / Un sentiment intense de détresse psychologique ou physiologique quand on lui rappelle l’événement (déclenchés par exemple en pénétrant dans un endroit similaire, lorsqu’il entend des sons lui rappelant l’événement) /Incapacité persistante à vivre des émotions positives / Altération du sens de la réalité /Incapacité de se rappeler une partie importante de l’événement traumatique (amnésie dissociative) / Efforts pour éviter les souvenirs, les pensées ou les sentiments pénibles associés à l’événement / Efforts pour éviter les rappels externes (sujets, lieux, conversations, activités,objets, situations) associées à l’événement / Trouble du sommeil / Irritabilité ou accès de colère/ Hyper vigilance / Difficultés de concentration / Réponse en sursaut exagérée. Notons qu’il n’y a pas nécessairement de symptômes dissociatifs. L’ESA ne peut être imputé à une consommation de substances quelconques ou à un trouble médical. L’état de stress aigu, de par la profonde détresse qu’il engendre, vient perturber la vie sociale et/ou professionnelle de la personne.
A noter que si les symptômes persistent au-delà d’un mois, on s’orientera vers un diagnostic d’ESPT (état de stress post traumatique). Si la personne présente plusieurs de ces symptômes, mais moins de 9, et que l’exposition à l’événement est de nature stressante et non traumatique, alors on parlera de trouble de l’adaptation.
- Quelles sont les causes de l’état de stress aigu, est-ce qu’il y a des populations plus à risque ?
L’état de stress aigu est un ensemble de symptômes déclenché par un événement traumatique ayant exposé la personne directement à un danger (accident, blessure grave, attentat, menace de mort, violences sexuelles…) ou indirectement (être le témoin d’un accident, d’une menace, ou encore lorsque les victimes d’un événement violent ou accidentel sont des proches). En ce qui concerne les prédispositions, certaines études se penchent sur des facteurs influant dans l’apparition du l’ESPT ( état de stress post-traumatique), plus que de l’ESA (état de stress aigu). Ainsi, le docteur Mikael Meneay chercheur de l’université McGill (Canada), démontre qu’être parent atteint d’un ESPT peut rendre difficile la relation à ses propres enfants. Aussi, ceux-ci seraient-ils alors plus vulnérables face aux événements traumatiques, sur les plans biologique et symptomatologique. On peut également supposer que l’état psychique et l’état physique de la personne, au moment de l’événement traumatique, influeront sur sa réaction et son adaptation. Par ailleurs, certains professionnels (primo-intervenants, pompiers, policiers,soldats…) sont, par définition, bien plus exposés que la population lambda à des événements traumatogènes ; le fait de jouer un rôle actif en ces situations délétères, d’appartenir (la plupart du temps) à un corps professionnel, d’être (parfois) bien « préparés » sont autant de facteurs plutôt protecteurs. Toutefois, ils ne sont pas à l’abri d’un ESA ou d’un ESPT (qui plus est, les défusing et débriefing ne sont, bien malheureusement, pas toujours institutionnalisés). Se rajoutent aux symptômes de forts sentiments de honte et de culpabilité, du fait notamment de la « culture » de leur corps d’appartenance. Lorsque l’on prend en charge une personne en ESA, comprendre si plusieurs événements traumatiques antérieurs au déclencheur auraient été vécus est important. En effet, ce nouvel événement peut venir « réveiller » des traumas non traités. Ce qui peut potentiellement amplifier la réaction.
3. Comment reconnaitre et prendre en charge une personne souffrant de stress aigu ? Vers qui se tourner en cas de crise ?
On reconnait la personne en état de stress aigu lorsque celle-ci, pendant au moins 3 jours (et moins de 4 semaines comme évoqué), présente des troubles comme ceux cités en début d’article. Par exemple, on remarquera chez un collègue jusque là présent, actif et d’humeur égale, qu’il est constamment aux aguets et cela, sans raison rationnelle, qu’il perd le sens des réalités, qu’il est sujet à des reviviscences, qu’il ne parvient pas/plus à se concentrer sur ses tâches, qu’il est particulièrement fatigué du fait d’un manque manifeste de sommeil, qu’il a des sautes d’humeur avec des accès de colère, qu’il évite certains lieux, qu’il semble « ailleurs ». On remarquera qu’il a tendance à s’isoler, à éviter les moments joyeux et conviviaux, qu’il ne rempli plus ses missions, qu’il s’emporte souvent… La toute première attitude à adopter face à une personne en ESA, est de lui manifester du soutien, de la rassurer, de l’écouter, sans juger : créer et garder le contact (physique et communicationnel), privilégier le face à face, éviter le monde, le bruit , accueillir la personne telle qu’elle est (gestes physiques de réassurance, premières intentions sur les besoins physiologiques, intonation, écoute et compassion…), écouter, mettre des mots sur ce que l’on voit, obtenir des informations par des questions ouvertes sur les potentiels soutiens dans son entourage immédiat. Lui permettre de « poser » sa détresse et de se réinscrire dans « l’ici et maintenant » (notions d’espace-temps), notamment par des gestes et attentions très simples est en soi une aide. Il est par ailleurs primordial de ne jamais minimiser ce que ressent la personne. La prise en charge par un professionnel formé, si les symptômes sont immédiats, peut être le défusing ou, plus tard, le débriefing. S’il y a plusieurs écoles, certaines estiment que cela peut prévenir les décompensations majeures, notamment vers un ESPT (état de stress post-traumatique). Mais il est toutefois courant que la personne guérisse d’un ESA d’elle-même, à distance de l’événement, lorsque l’entourage est particulièrement bienveillant et que la personne a pu raconter et parler de ce qu’elle a vécu. Accompagner la victime d’ESA avéré est cependant parfois nécessaire, on sera toutefois très prudent et on privilégiera une prise en charge individuelle.
Il faut alors connaitre les réseaux de partenaires internes (si on est en milieu professionnel) et/ou externe pour pouvoir orienter la personne : antennes d’intervention d’urgence hospitalière ou privé (comme Geo-Psy, Pros-Consulte, les CUMP s’il s’agit d’un événement collectif, le SAMU…), le service de médecine préventive, le médecin traitant, les psychologues spécialisés en traumatologie, les psychiatres, les praticiens certifiés EMDR… La thérapie avec un professionnel formé au traumatisme psychique est à préconiser si les symptômes sont marqués et durent. L’approche EMDR est un outil qui peut être, dans nombre de cas, très précieux pour aider les victimes à « traiter l’événement », pour le « désensibiliser », afin qu’il devienne souvenir.
