
LA PSYCHOLOGIE EN MILIEU CARCERAL

Emilie PIOUFFRE
Psychologue clinicienne membre du réseau Geo-Psy
Geo-Psy : Emilie, toi qui a quasiment débutée ta carrière de psychologue clinicienne en milieu carcéral, peux-tu nous expliquer quel était ton rôle et les difficultés auxquelles tu as pu être confrontées.
Emilie Piouffre : Avant de répondre à cette première question, je me permets une digression dans le but de permettre au lecteur de savoir d’où je pars et comment j’en suis venue à travailler en milieu carcéral alors que j’étais toute jeune diplômée. Ce fut par choix. J’ai quitté le poste que j’occupais dans un hôpital de ma région natale et où résidait famille et ami(e)s pour exercer le travail de psychologue dans le cadre du parcours d’exécution des peines dans un établissement pénitentiaire situé à plus de 500kms de mon lieu de confort.
Ma première rencontre avec l’univers carcéral fut dans le cadre de mon engagement au GENEPI (une association d’étudiants intervenant depuis 1976 en prison auprès des personnes détenues). Cette démarche peut être reliée à ma volonté assez naïve, celle d’une jeune femme de 21 ans, dénuée de tout doute de révolutionner le système carcéral ; de mieux l’appréhender, de mieux le comprendre. L’origine de cette implication fut celle de la rencontre avec la folie et de son emprisonnement lors d’un stage réalisé dans le cadre de mes études de psychologie. Jusque-là, la prison était pour moi une équation inconnue. Alors que je m’interrogeais sur la clinique, sur l’emprisonnement de ce patient diagnostiqué et traité pour une pathologie lourde, une autre étudiante partagea avec moi son expérience du GENEPI. C’est ainsi que je me suis présentée aux membres présents l’année suivante. J’ai été recrutée au GENEPI en 2007. Je suis restée deux années au sein du groupe local de Poitiers. Je suivais alors un DU de Sciences criminelles puis un Master Pratiques Cliniques, Psychopathologie parcours criminologie et victimologie à l’Université de Poitiers. Mon engagement au GENEPI pris fin suite à l’obtention de mon diplôme, par l’arrêt du statut étudiant. Cependant, je ne suis pas certaine qu’il faille parler de fin d’engagement, de fin de contrat. Ce fut plutôt pour moi l’ancrage dans des valeurs humanistes, de défense d’un idéal. Alors que je n’avais aucune conscience de ce que pouvait être le monde carcéral avant le GENEPI, un devoir de réflexion et de transmission est né ou a continué à m’animer.
Cette pratique a marqué d’une empreinte indélébile ma vie professionnelle et du même coup ma vie personnelle. J’ai d’abord été stagiaire psychologue dans un SMPR (Service Médico-Psychologique Régional) puis j’ai exercé en tant que psychologue dans un centre pénitentiaire. J’ai ensuite obtenu un DU d’expertise judiciaire, psychiatrique et psychologique puis un Master de Philosophie et de Sciences du langage. Aujourd’hui je termine une thèse de psychologie ayant pour thème le mal-être et le suicide des personnels pénitentiaires pour laquelle j’ai obtenu une bourse de l’ENAP (Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire). La poursuite du cheminement initié au GENEPI, m’a amené à remettre l’humain au centre qu’il soit une personne détenue ou un personnel pénitentiaire. Suite à l’expérience de psychologue dans le cadre du parcours d’exécution des peines centrée sur les personnes détenues c’est tout naturellement aujourd’hui que ma recherche doctorale s’achève avec le personnel pénitentiaire. Il s’agit pour moi en quelque sorte d’un cercle vertueux.
J’en reviens à la question initialement posée. Les fonctions et activités demandées en tant que psychologue intervenant dans le parcours d’exécution des peines étaient multiples : accompagner et/ou prendre en charge la personne placée sous-main de justice, participer aux commissions pluridisciplinaires, procéder à l’évaluation et au bilan de la personne, accompagner le personnel dans sa mission d’observation, échanger avec les différents partenaires, étudier les passages à l’acte, mettre en place et animer des sessions de formation, être le relais entre des personnels en situation exceptionnelle et les psychologues du personnel, rédiger des rapports de synthèse dans le respect strict de mon code de déontologie.
Il me faut donc maintenant dire quelques mots sur les difficultés qui ont pu être les miennes lors de cette expérience de travail. Clinicienne débutante, je me suis aventurée à exercer dans un centre pénitentiaire. Mon arrivée dans cette structure était empreinte d’une profonde envie d’humanité et d’une grande motivation. Ce poste, pour lequel j’ai été recrutée, était positionné sur une ouverture d’établissement à la périphérie de la ville. Cette mise en service a entrainé la fermeture de la maison d’arrêt, établissement insalubre, située au cœur de la cité. Après échange avec la direction, qui s’était investie de longs mois à l’ouverture de cet établissement, j’avais le sentiment que tout était possible et que nous pouvions faire de ce nouveau centre pénitentiaire, un modèle de réinsertion avec en son cœur l’humain.
Mon enthousiasme et ma croyance étaient en partie liés à ma connaissance, depuis cinq années, en tant que bénévole puis stagiaire psychologue, du milieu carcéral et des désespérances vécues. Très vite, je fus confrontée au mal-être des personnels pénitentiaires. Chaque jour, lorsque les personnes détenues étaient dans leurs cellules, des surveillants passaient la tête dans mon bureau ou me saluaient à travers la porte vitrée. Parfois, certains déposaient auprès de moi les maux de leur travail quotidien. Cela était possible car mon bureau était une salle d’audience directement située au cœur de la détention. En tant que professionnelle intégrée dans cet établissement pénitentiaire ma crainte fut d’incorporer des valeurs que pourtant je rejetais. Certains jours, avec effarement, je me rendais compte de la peur que l’indifférence me gagne moi aussi à mon tour, peu à peu, et que l’exceptionnel de la prison devienne mon ordinaire. Toujours le même surmenage, la même misère des personnes détenues, la même plainte du personnel. De nombreux événements sont venus mettre à mal l’espoir avec lequel je suis entrée dans cette prison.
Geo-Psy : Est-ce que ton intervention s’étendait à la prise en charge du personnel pénitentiaire ? Auquel cas comment abordais-tu ces deux rôles ?
Emilie Piouffre : J’intervenais auprès des personnes détenues. Une prise en charge psychologique se fait également auprès du personnel par les psychologues du personnel. Ayant un bureau situé directement au cœur de la détention et travaillant à temps plein sur l’établissement contrairement à la psychologue du personnel, je pouvais être le relais entre elle et des personnels en situation exceptionnelle.
On parle d’une profession qui se sent laisser pour compte, d’une prison qui connaît des problèmes récurrents, qu’on a bien de la peine à régler. C’est un métier que l’on connaît peu, que l’on ne voit pas car tous les personnels se trouvent dans l’ombre des établissements pénitentiaires. De plus, c’est rarement un travail que l’on exerce par vocation mais plutôt par volonté d’entrer dans la fonction publique.
La personne qui intervient en milieu carcéral quel que soit sa profession a à réaliser un travail partagé, un travail d’humanité. Pourtant, souvent ce travail ne peut être effectué. Certains ressentent qu’ils sont empêchés d’exercer leur profession. Les surveillants dénoncent régulièrement la surpopulation, l’isolement, le manque de moyens, la vétusté.
Il est question de dignité pour les uns qui y travaillent et pour les autres qui y vivent pour un temps plus ou moins long. Ce qui apparaît commun est le destin quotidien, le sort journalier des détenus et des personnels. La condition des détenus est liée à la condition des personnels. Il faut faire progresser la condition des surveillants, accueillir leur vulnérabilité au sens ricœurien du terme. Ils ont besoin de dire, de témoigner, d’être écouté. Cela ressort de tous les établissements ou j’ai pu exercer ou mener ma recherche doctorale. L’écoute peut aider à clarifier la parole déposée. L’acte de parole se transforme en désir de compréhension pour le sujet. Le récit vient ainsi rendre compte du travail subjectif des personnels en souffrance.
La prison n’est plus un tabou mais elle est « un hors champ social » selon l’expression de Robert Badinter. Nous ne voulons plus voir les délinquants. Nous les mettons en prison. Mais, ils ne sont pas voués à y rester. Au moment, où une personne entre en prison, elle en ressortira plus ou moins tard, plus ou moins tôt mais elle en ressortira et on a le sentiment que comme ils sont derrière les murs, ils ne sont plus. Cependant, ils existent. Que va-t-il se passer lorsqu’ils seront à nouveau libres ?
Il faut prendre le soin d’un accompagnement, il diminue la récidive. C’est pourquoi, il faut permettre à nos personnels de prendre soin, d’accompagner…
L’humanisation du métier de surveillant dans son intérêt et dans celui du détenu passe par porter à part égale la mission d’insertion et la mission de sécurité et notamment à travers le partage d’activités à vocation humanitaire. Le surveillant devrait pouvoir être dans le savoir-faire, le savoir être et le faire avec le détenu. Ré humaniser le métier de surveillant afin qu’il ne soit pas là pour faire subir une peine à un détenu ; trouver un équilibre entre les deux missions principales qui lui incombent : sécurité et insertion.
Les personnels de terrain ont des propositions à faire, ils ont leurs expériences de terrain pour apporter des réponses aux conflits rencontrés actuellement.
Beaucoup de monde souffre dans ce monde carcéral, du surveillant au directeur, car le sujet n’est pas pris en compte. Ce questionnement institutionnel n’est pas propre à l’administration pénitentiaire. Il peut être posé pour n’importe quelle institution aujourd’hui (Cf. hôpital : suicide des infirmières, interchangeabilité des personnels, logique gestionnaire, etc.). La disparition de la dimension subjective est un vrai problème de société pas seulement dans l’administration pénitentiaire.
Dès lors que l’on croit en l’humain, que l’on met en commun, communique, échange, écoute, nous pouvons faire des choses formidables. Alors demandons-nous : quelle prison voulons-nous, quel hôpital, quelle école, quelle université, quel EHPAD afin que les personnes prises en charge (nous toutes) et les professionnels vivent et travaillent bien ensemble.
Geo-Psy : Selon toi est-ce plus « difficile » d’être UNE femme psychologue en milieu carcéral ?
Emilie Piouffre : Je ne pense pas qu’il soit plus difficile d’être une femme en milieu carcéral. Nous sommes en grande majorité des femmes psychologues en milieu carcéral. Pour certains, le fait que les femmes interviennent en milieu carcéral peut adoucir voire pacifier les relations avec les personnes incarcérées. Je pense plutôt que cela dépend de l’homme ou de la femme qui intervient dans ce milieu. Il n’est pas facile d’intervenir dans un lieu contraint, ultra sécurisé mais nombreuses de ses difficultés peuvent être ressenties dans d’autres cadres de travail. « Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ? » Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975.
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